Je passe mes journées à nettoyer la merde des gens. Et par gens, je veux dire vieux croulants complètement inutiles à la société, qui font que manger et chier. Au fond, j'ai ce que je mérite. J'aime mon job, il arrive à me remettre à ma place dès que je souris un peu, il me laisse pas m'enfler le cœur avec un tas de trucs désuètes genre le bonheur et tout. En plus 'paraît que je suis doué pour faire briller les planchers, on ne se défait pas d'un truc dans lequel on est doué... Surtout quand c'est le seul. Enfin, je suis doué pour me péter la gueule, pour me faire du mal sans relâche, pour avoir une existence pitoyable, ça, c'est pas nouveau. Tellement doué que ça me colle à la peau, ça ne me lâche pas, c'est dans l'air que j'expire. J'ai la poisse, une putain de poisse, et elle n'hésite pas à étirer ses tentacules suffocants vers tous ceux qui m'entourent alors vous êtes avertis, tenez vous loin maintenant. Si vous vous demandez, oui, c'est pour ça que je crache sur tout ceux qui établissent leur port d'attache chez moi, qui jettent l'ancre trop près de moi. Je leur balance un ouragan en pleine tronche et la plupart coulent avec leur ancre : ceux qui résistent à la tempête sont les pires, vraiment, parce que j'arrive pas à concevoir qu'on puisse pas se lasser de mes obsessions, de mes éternels problèmes, de mes manies et mes caprices, de mes violences, de mes manières vides d'élégance. Vraiment, vous comprenez comment ils font vous ? Je vois pas, je suis horrible, dégoûtant, je me hais... Et ces pauvres cons s'entêtent à vouloir faire de moi quelqu'un de bien, comme si ils pouvaient y faire quelque chose.

Parce que oui, je suis né comme ça, ça ne change pas, ça ne change jamais. Mes parents étaient deux crevards, le genre de loque à qui il devrait être interdit de faire des gosses. Encore heureux qu'il n'en aient eu qu'un, au moins ils n'ont pas étendu le malheur trop loin... Voilà que je joue encore aux victimes, c'est pas si mal la tristesse, on s'y fait avec le temps. On s'habitue à manger des baffes au petit-déjeuner et à se bouffer les doigts pour ne pas pleurer. À trimballer sur nous ces regards indiscrets et pernicieux qui s'attardent sur nos épaules, à immobiliser nos tympans qui vibrent sous le hurlement des moqueries. Le quotidien nous apprend vite à faire le tri dans nos priorités, à mettre de l'argent de côté pour l'herbe puis la poudre, à oublier nos études au bout duquel nous attendait de toute façon un gouffre. La vie est une excellente professeur et c'est elle qui m'a tout inculqué, parce que la fessée de papa ça ne faisait que marquer l'esprit d'une peur des cris qui me hante toujours, ces cris-même qui m'ont chassé de l'appartement familial et même de Séoul pour me faire errer jusqu'à Daesan. Daesan qui m'a accueilli avec mon fantasme d'anonymat et d'oubli, avec mon caractère de merde et mes crises d'angoisse, avec mon talent pour nettoyer la merde des gens.