Disparu.

Il avait disparu.

Ils avaient beau le chercher, alerter les gens, aller le chercher chez ses amis, faire tout ce qui était en leur pouvoir actuellement pour le retrouver, mais il restait hors de vue, hors de portée.

Ils ne savaient pas ce qu'ils avaient fait. S'était-il enfui ? Ne s'étaient-ils pas assez bien occuper de lui ? Avait-il choisit de disparaître de leur vue et de leur vie ? Ils cherchaient mais ne trouvaient jamais.

Ou bien... S'était-il fait kidnapper ? Avait-il été enlevé par une personne mal intentionnée ? Avait-il été séquestré ? Tué ? Un si jeune enfant, c'était juste impensable que quiconque ait pu lui faire du mal. Mais l'hypothèse était tout de même tellement plus probable que tout ce à quoi ils avaient pensé.

Leur fils, leur chair, la prunelle de leurs yeux. Il ne faisait maintenant plus parti de leur monde. Parti, disparu sans laissé une trace. Et après des années, ils ne l'avaient toujours pas retrouvé.



Il courait comme il n'avait jamais couru auparavant. Sur ses courtes jambes, il avait l'impression de voler tant ses pieds rentraient peu en contact avec le sol. Il courait, encore et toujours, mais jamais le décor ne changeait. Le noir. La peur grandissait en lui comme une maladie qui prenait tout son corps, si bien qu'après un long moment il ne put même plus respirer. Il ne savait pas si c'était sa course effrénée ou la peur qui le rongeait qui avait bloqué ses poumons, mais ce dont il était sûr c'était qu'il n'avait plus d'air. Il ralentissait, se prenait les pieds dans le sol, et tombait. Se relevait, et tombait encore, et encore, comme si la gravité se rappelait enfin à lui. Mais il voulait fuir lui ! Fuir loin de cet endroit dans lequel on l'avait emmené loin de ses parents. Il voulait les rejoindre, hurler pour qu'il l'entende et viennent le sauver. Mais plus les jours passaient, moins l'espoir survivait. Ils l'avaient abandonné.

Papa, Maman, qu'avait-il fait pour mériter ça ? N'avait-il pas été un gentil garçon ? N'avait-il pas été sage ? Il faisait parfois des petites colères, des crises qui n'étaient même pas réalisées de son plein gré. Mais c'était comme tout les autres enfants, non ? Avait-il fait une bêtise sans qu'il ne s'en rende compte ? Pourquoi ne l'aimaient-ils pas ? Pourquoi est-ce qu'il se retrouvait là, puni, seul. Personne ne venait le voir, pas même pour lui donner à manger. Parfois on l'appelait, mais pas par son prénom, jamais comme son prénom, comme si maintenant il n'était plus personne. Il entendait parfois des cris ' soixante-et-un (yuksipil) ! soixante-et-un (yuksipil) ' et il savait que c'était lui parce que c'était le chiffre qu'on avait imprimé sur sa peau.

Il ignorait pourquoi il se trouvait là, ignorait même où il était en vérité, et n'était même pas sûr de vouloir le savoir. Parfois il avait souhaité ne pas être seul, avoir quelqu'un avec qui parler, à qui se confier. Il peinait même à se souvenir du son de sa propre voix. Et plus les jours passaient, plus son monde se réduisait, encore et encore. Il oubliait. Ses parents, ce qu'il était, à quoi ressemblait le monde extérieur, l'odeur de l'herbe fraîche, l'odeur de la pluie, la fraîcheur de la neige, le réchauffement du soleil sur sa peau. Il oubliait et tout son esprit ne se remplissait plus que d'une chose : la personne qui l'avait enfermé là. A quoi ressemblait-elle ? Qui était-elle ? Pourquoi ne venait-elle jamais le voir ? N'était-il pas sage, simplement assis dans un coin de la pièce sombre ? Ne méritait-il pas d'avoir une petite récompense ? Juste une, il n'en demanderait pas plus.

Le jour où la porte s'ouvrit enfin, il avait 13 ans. La première chose qu'il vit fut la lumière aveuglante qui éclaira la pièce immonde. Ses yeux s'étaient automatiquement fermés, peu habitués à tant de luminosité. Il avait ensuite entendu des pas venir vers lui, et un doux murmure. ' soixante-et-un, tu es sûrement le plus sage d'entre tous. ' Et il ne savait pas pourquoi, mais un sourire fier vint orner ses lèvres, comme si le compliment était la plus belle chose qu'il ait entendu de toute sa vie. Difficilement, il se leva, s'appuyant sur le mur derrière lui, et, après quelques pas chancelants, s'approcha de l'homme pour se lover contre celui qui était son ravisseur. Enfin il le voyait, et il était si heureux. Ses bras le serraient fort, la chaleur qu'il dégageait était si agréable, si douce qu'il n'arrivait pas à le lâcher. Mais d'un coup de pied il se fit jeter. ' tu n'es pas encore prêt ' et la porte se referma.

Le noir l'engloutit à nouveau, et il se retrouva dans la pièce où il n'y voyait rien, son quotidien depuis maintenant trop d'années. Maintenant qu'il avait vu la lumière, il ne pouvait s'empêcher de rêver de la prochaine fois qu'il pourrait l’apercevoir, la sentir même avec un peu d'espoir. La lumière était belle, mais aussi traîtresse. A cause d'elle il avait pu voir l'horreur dans laquelle il vivait, et à cause d'elle il n'avait pas pu voir le visage de son ravisseur, à contre jour. Revenant dans son petit coin, il enroula ses bras autour de ses jambes, essayant de se tenir chaud. Il faisait si froid maintenant qu'il avait goûté à la chaleur.


Comme un lion en cage, il tournait en rond. Se jetant sur les murs comme s'il avait la force de les déplacer, les détruire. Il voulait sortir, à tout prix, il voulait sortir, il voulait le voir. Depuis la première fois où il l'avait vu il n'avait de cesse de penser à lui, de rêver de lui. Qui était-il ? Il souhaitait juste savoir ça, et le voir. La seule présence humaine à ses côtés durant toutes ces années. Il était devenu impatient, instable, comme s'il se rendait enfin compte qu'être enfermé là n'était pas aussi normal qu'il l'avait cru. Il voulait sentir le soleil, la chaleur ! Il voulait marcher autre part que sur ce sol sale, il voulait cesser de rester là. Il se jeta contre un mur. Couru à l'autre bout de la salle et se jeta contre un autre mur. Jusqu'à ce que ses deux épaules soient en sang, et qu'il entende des pas s'approchant de lui. Il se calma, et sagement s'installa dans son petit coin. ' soixante-et-un, tu fais trop de bruit. ' La porte ne s'était pas ouverte.


Il allait devenir fou, s'il ne l'était pas simplement déjà. Tout ce noir, tout ce silence. Pourquoi n'entendait-il plus les pas au dessus de sa tête ? Cela faisait déjà quelques jours qu'il n'avait pas eu à manger, cela faisait quelque jour qu'il n'entendait plus les éclats de voix au dessus. Il s'inquiétait. S'était-il passé quelque chose ? Il retint sa respiration dans l'espoir d'entendre le moindre bruit, mais rien, pas même un soupir, comme si le monde s'était en cet instant arrêté. Quelque chose d'inquiétant se créa au fond de son ventre. Mais ce n'était pas la fin, il la côtoyait depuis si longtemps qu'il savait la reconnaître. Non. C'était quelque chose qui n'annonçait rien de bon.


Des cris le réveillèrent. Des cris qui le firent sursauter. Il sauta sur ses deux pieds, aux aguets. En haut, il entendit des pas comme si mille hommes étaient là. Ils couraient partout, et il entendait qu'ils détruisaient tout sur leur passage. Des pas, des centaines de pas descendaient les escaliers et courraient dans les couloirs. Devant ses yeux, la porte explosa, et la lumière jaillit, l'aveuglant. Il ferma ses yeux, et ne comprit pas lorsque quelques minutes plus tard, il les rouvrit et découvrit le monde extérieur. Il y avait tant de monde autour de lui. Des gens, tous vêtus de la même façon, si bien qu'il peinait à les différencier. Il était dehors, mais où était l'homme ?

Il le cherchait des yeux, réalisant peu à peu qu'il ne pourrait pas le retrouver puisqu'il n'avait jamais vu son visage. Que ferait-il sans lui ? Il avait été dépendant de sa personne pendant tant de temps qu'il ne s'imaginait même plus vivre loin de lui. Des larmes silencieuse dévalaient sur son visage, et à ce moment une femme vint vers lui, s'agenouillant face à lui. « c'est fini maintenant, c'est fini » Mais d'un revers de la main, il la renversa. Il ne voulait pas entendre que c'était fini ! Tout sauf ça ! « où est-il ? » voulu-t-il hurler, mais sa voix resta coincée dans sa gorge, ne laissant échapper qu'un léger murmure. Il n'avait plus parler depuis tellement de temps. « ne t'inquiète pas, il est loin maintenant. »

Elle ne comprenait rien, cette femme, elle ne comprenait vraiment rien. Comment cette information était-elle sensée le rassurer, alors que lui la seule chose qu'il voulait c'était le voir ? L'avoir près de lui et non loin comme elle lui assurait ? Il la regarda avec rage, et disparu dans un coin qu'il jugea assez sombre. Comme il avait envie de retourner dans son cocon, lui qui avait tant voulu sortir ne souhaitait plus qu'une chose : y retourner. Parce que sa vie semblait prendre un tout autre détour, et il n'était pas sûr que cela allait lui plaire.


Les murs étaient blancs, trop blancs. La pièce était lumineuse, trop lumineuse. Il n'aimait pas ça. Il était à nouveau comme un animal en cage, mais maintenant il ne pouvait même plus bougé, attaché sur un lit parce qu'il avait déjà fait trop de dégâts. Il voulait sortir, le retrouver parce qu'il était toute sa vie. Il était la seule présence vivante qu'il avait sentit durant 8 ans. 8 ans enfermé en sa compagnie, à ne rien faire d'autre que l'écouter vivre. Et le silence qui régnait maintenant dans la pièce était assourdissant. Et il avait aussi peur de ce trou dans le mur qui laissait entrevoir tout un monde dehors. Il avait pour de s'en approcher et de tomber dans le vide. Il aurait voulu se cacher dans un coin, loin de ce cadre, mais il était attaché.

Il tournait la tête quand on lui parlait. Il ne regardait pas les gens, ne leur parlait pas. Ils ne voulaient même pas répondre à leurs question, ils n'avaient pas à lui poser des question, ils ne comprenaient jamais rien. Toujours ils lui disaient qu'il pouvait avoir confiance en eux, qu'ils n'étaient pas cet homme qui l'avait enfermé, mais comment pouvait-il faire plus confiance à des personnes qu'il venait de rencontrer alors qu'il ne devait pas selon eux faire confiance à une personne qui s'était occupé de lui pendant plus de la moitié de sa vie. Ces gens étaient illogiques, et parfois quand il leur jetait des regards furtifs, il voyait leur air qui lui faisait froid dans le dos.

Il criait. Criait à s'en arracher les poumons. Il voulait sortir, il voulait qu'on le laisse, il ne voulait plus de ces visites incessantes. Il voulait sortir et courir le rejoindre, mais il était enfermé. Il avait l'impression de ne plus avoir aucune liberté. La pièce était trop petite, trop claire, il ne pouvait pas se cacher. La pièce était trop remplie, partout il y avait des obstacles. Les murs étaient si fins qu'il arrivait à tout entendre, et savait qu'on entendait tout ce qu'il faisait. Il se sentait si exposé. Il criait, encore, mais personne ne venait, comme si il était finalement retourné dans cette cave sombre où il avait vécu. Les gens qui l'entouraient se jugeaient différents, mais ils étaient tellement similaires.

' où sont tes parents ? ' Cette femme, il ne pouvait plus l'entendre. Elle avait un petit quelque chose qui l'empêchait de lui faire confiance. Elle était tellement gentille qu'elle en devenait insupportable. Il secoua la tête. Il n'avait pas de parents.